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Le Monde et Nous
31 mai 2013

Aspirine, dans tous ses états !

Sûrement pourrez-vous trouver sur Internet des recettes permettant de soigner un mal de tête ou une fièvre grâce à  une infusion de de produits issus de votre jardin…notamment des décoctions à base d’écorce de Saule. Mais attention aux surdosages, la nature n’est pas forcément synonyme d’innocuité (voir ici). En ce qui me concerne, je préfère “contrôler” la dose ingurgitée en avalant plutôt un comprimé d’aspirine ! 

Salix

Effectivement, l’infusion d’écorce ou de feuilles de saule blanc est riche en l’aspirine, c’est d’ailleurs à cet arbre (Saule=Salix) que la molécule doit son nom chimique  : acide acétylsalicylique.   

Voyons cela d’un peu plus près : quels sont ses effets (les plus connus mais aussi ceux mis à jour par des récentes découvertes) et les principaux mécanismes qui les expliquent.

aspirin

SourceICI

Formule et réactivité
La molécule d’aspirine ou acide acétylsalicylique porte également le nom d’acide 2-(acétyloxy)benzoïque. On a donc parmi les caractéristiques notables :
- un acide carboxylique (COOH),
- un noyau aromatique,
- une fonction ester avec un groupe acétyl (CO-CH3)
C’est ce dernier groupe qui explique le monde d’action de la molécule.

molecule_aspirine

Les effets de l’aspirine
L’acide acétylsalicylique agit sur l’inflammation, la douleur, la fièvre et sur la coagulation sanguine. Des recherches récentes ont également montré des effets sur la survenue de cancers, leur propagation et récidive. 

Fièvre, douleur, inflammation et coagulation sanguine sont tous des phénomènes liés à l’action des prostaglandines : des médiateurs chimiques lipidiques (formés à base d’acides gras essentiels) à action rapide et puissante, agissant localement ; les prostaglandines sont synthétisées dans de nombreux tissus et les organes.

Inflammation :
L’inflammation d’un tissu est une réaction normale innée de notre système immunitaire suite à une agression (blessure, brûlure, allergie…).  Elle se manifeste principalement par une rougeur, une sensation de chaleur localisée, un œdème, une douleur.
Pourquoi cette réaction ? tout simplement pour lutter au plus vite contre l’agression .
En effet, la réaction inflammatoire s’accompagne d’une sécrétion de prostaglandines (notées PG)dont l’un des effets est d’accélérer la circulation sanguine pour évacuer au plus vite les toxines et apporter les éléments de défense (globules blancs). La dilatation des vaisseaux sanguins rend compte des rougeurs et sensation de chaleur, et le passage de l’eau du plasma dans les cellules provoque l’œdème. Ce dernier comprime les nerfs sensitifs, la douleur apparaît.

Une autre particularité des PG synthétisées localement et qu’elles vont se fixer sur les cellules voisines de la zone inflammatoire, contribuant ainsi à propager l’inflammation.

inflammation

Douleur
Lorsque les récepteurs sensibles à la douleurs (nocicepteurs) sont stimulés, l’information transite le long de neurones sensitifs et entre les neurones (via les synapses) jusqu’au cerveau doté de récepteurs de la douleur. Le cortex cérébral nous informe alors de cette sensation douloureuse.

Là encore, les prostaglandines permettent de comprendre. En effet; elles ont comme autre rôle de rendre plus sensibles les terminaisons nerveuses. Ce qui fait que la douleur (pour un stimuli de même intensité) est plus vive.
L’intérêt ? Informer le cerveau de la localisation d’une anomalie 
et déclencher une réaction.

Fièvre
En cas de menace ou de présence d’antigènes, les prostaglandines produites ont également une action au niveau de l’hypothalamus, cette région du cerveau qui s’occupe de la régulation de la température. La valeur cible est augmentée : l’ordre est donné de produire plus de chaleur et d’en perdre moins.

L’intérêt est que la chaleur accélère les vitesses de réactions immunitaires et rendent les globules blancs plus efficaces.

En conclusion : on voit que les prostaglandines sont les molécules actives de la situation. Elles ont aussi aussi beaucoup d’autres effets qui seront évoqués un peu plus loin.

Oui mais…

Toutes ces réactions naturelles de défense immunitaire sont efficaces mais sur le long terme et de trop grande intensité, elles peuvent devenir délétères. D’où la nécessité de les enrayer si l’inflammation ne passe pas.

Mode d’action de l’aspirine
La cible de l’aspirine : les prostaglandines. En empêchant leur formation, l’aspirine rompt le cou (d’un seul coup d’un seul) à l’inflammation, la douleur et la fièvre ! Pratique…
Pour comprendre comment, il faut revenir un peu sur la formation des prostaglandines. Ces molécules lipidiques sont formées à partir d’acide gras (tels que l’acide arachidonique)  qu’il faut cycliser et oxygéner… Ceci n’est pas vraiment facile : il faut beaucoup d’énergie pour réaliser cette performance ; en termes chimiques, on dit qu’il y a une forte énergie d’activation, c’est-à-dire une barrière énergétique à ” franchir”.
Pour abaisser la barrière énergétique et rendre la réaction faisable, on doit faire appel à d’autres intermédiaires : c’est le rôle des catalyseurs ou enzymes, qui se reconnaissent au suffixe  ”ase” (lipase, lactase…).

Dans le cas qui nous intéresse, ce sont des cycloxygénases, plus communément appelés COX. De longues protéines en forme de spaghettis, des chaînes d’acides aminés. Il y en a de plusieurs types, dont COX1 et COX2.

COX

La molécule COx, en forme de spaghetti + ou – enroulé

L’aspirine, grâce à son groupe acétyl va réagir avec le site intéressant (un acide aminé particulier) de la molécule COx, celui qui facilite justement la réaction de synthèse des PG.

Cox_asp

SourceICI

Bref, l’aspirine inactive irréversiblement les enzymes COx… les PG ne sont pas produites, pas d’inflammation.

Côté aspirine, une fois le groupe acétyl parti ailleurs, la molécule devient l’acide salicylique. Des récentes études, ont montré que ce côté de la molécule est lui aussi impliqué dans le processus de réduction de l’inflammation. Il semble que cela soit un mécanisme épigénétique qui entre en jeu (un gène n’est plus exprimé).

Différences entre COx1 et COx2 et effets secondaires de l’aspirine
Bien que toutes les deux de même nature (même structure tri-dimensionnelle), COx1 et COX2 se différencient par la taille de leur site actif : les prostaglandines qui résultent de leur action sont un peu différentes, certaines sont spécifiques de l’enzyme COx2. L’activité des PG dépend également du type de cellules dans lesquelles elles sont synthétisées.

COx1  agit en continu et donne naissance à des PG dans de nombreuses cellules. Elles jouent un rôle protecteur sur le fonctionnement des différents organes (protection de l’estomac par du mucus par exemple). COx1 favorise également l’apparition de thromboxanes (molécules agissant sur l’agrégation des plaquettes, des coagulants)

COx2 apparaît en situation d’agression. Les différents effets sont donnés sur la figure ci-dessous.

COx_prostag

Représentation schématique simplifiée du métabolisme des prostaglandines. D’autres médiateurs moléculaires sont présents (non représentés ici) et jouent un rôle dans les phénomènes d’interactions et les boucles de régulation.

L’aspirine n’est pas sélective : elle agit sur les deux enzymes. Par son   effet sur COX2, l’inflammation est inhibée. Son action sur COx1 génère des effets secondaires :
– L’effet protecteur du mucus contre l’acidité gastrique est supprimé : l’aspirine conduit à des brûlures d’estomac, voire des ulcères et saignements.
– L’équilibre permettant d’obtenir la fluidité sang optimale est rompu dans le sens d’un effet anti-coagulant (via notamment la suppression des thromboxanes).

D’autres traitements anti-inflammatoires tels que les Coxibs ont été développés récemment (mise sur le marché en 1999). Ils permettent  de cibler l’enzyme COx2 et donc ”à priori” d’éviter ces effets secondaires. Néanmoins, les retours d’expérience ne sont pas aussi catégoriques.

L’aspirine active contre le cancer

Plusieurs études expérimentales et épidémiologiques ont montré un effet protecteur de l’aspirine contre différents cancers digestifs (diminution de la récurrence de polypes intestinaux), mais également contre le cancer du sein. 
Une étude épidémiologique écossaise très récente (Avril 2013), sur plus de 110000  femmes (dont certaines consomment de l’aspirine depuis 3 à 5 ans)  a montré une diminution de 30 % des risques de cancer du sein [1]
Trois autres études (2012, réf [2], [3], [4]) parues dans ” Lancet ” et “Lancet Oncology” menées par P. Rothwell de l’université d’OXford se sont attachées à analyser des données recueillies sur un grand nombre de personnes (77500). L’effet observé concerne :
- le risque de survenue de cancer qui diminue de 25 % après 3 ans de prise quotidienne d’aspirine (300 mg/j),
- les risques de métastases (qui diminue de 36 % notable sur 6 ans 1/2 de prise de 75 mg/j)
- la mortalité diminue de 37 % après 5 ans de prise quotidienne. 

Deux explications sont avancées pour expliquer ces résultats :
- l’aspirine prévient l’inflammation qui déclenche généralement la croissance de cellules cancéreuses (voir ICI),
-  l’aspirine améliore la fluidité du sang et induit une meilleure circulation sanguine. 
Or, des cellules cancéreuses s’enracinent plus facilement dans un flux ralenti..                                                                                       

Qu’attend-on pour préconiser la consommation quotidienne d’aspirine ?
Visiblement, il n’y a pas encore consensus entre les différents protagonistes. Peu d’essais en double aveugle sur une durée assez longue ont été menés.
Des effets secondaires ont été mis en évidence : notamment l’ulcération des systèmes digestifs et hémorragies. Reste à trouver le bon équilibre pour que les bénéfices ne soient pas dépassés par les risques.
Notons, que pour les personnes en rémission de cancer ou celles chez qui on a diagnostiqué un cancer à un stade précoce, cette possibilité d’intégrer l’aspirine à leur traitement est déjà envisagée.

Références des études

[1] Caroll S. et al,  ”Aspirin Use in the Community and the Risk of Breast Cancer”, Abstract

[2] P.M. Rothwell et al, “Effect of daily aspirin on risk of cancer metastasis: a study of incident cancers during randomised controlled trials”, The Lancet, Volume 379, Issue 9826, Pages 1591 – 1601, doi:10.1016/S0140-6736(12)60209-8,  2012

[3] P.M. Rothwell et al, “Short-term effects of daily aspirin on cancer incidence, mortality, and non-vascular death: analysis of the time course of risks and benefits in 51 randomised controlled trials”, The Lancet, Volume 379, Issue 9826, Pages 1602 – 1612, doi:10.1016/S0140-6736(11)61720-0,  2012

[4] A.M. Algra,  P.M. Rothwell, “Effects of regular aspirin on long-term cancer incidence and metastasis: a systematic comparison of evidence from observational studies versus randomised trials”, The Lancet Oncology, Volume 13, Issue 5, Pages 518 – 527,  doi: 10.1016/S1470-2045(12)70112-2,  2012

Pour en savoir plus

http://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_ac%C3%A9tylsalicylique

http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/aspirine/aspirine.html

http://en.wikipedia.org/wiki/Mechanism_of_action_of_aspirin

http://fr.wikipedia.org/wiki/Prostaglandine

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cyclo-oxyg%C3%A9nase

http://www.nature.com/nrc/journal/v1/n1/fig_tab/nrc1001-011a_F1.html

http://www.elmhurst.edu/~chm/vchembook/555prostagland.html

http://www.gremi.asso.fr/_/Prix%20GREMI%202009.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Coxib

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16 mai 2013

Petites histoires de pleurs

Qui n'a jamais été désemparé ou exaspéré des pleurs d'un bébé ?  Tous nouveaux parents (particulièrement eux), bien que complètement en adoration devant la petite chose fragile en pleurs qu'ils ont engendrée, se trouvent bien souvent  désarmés ! Pourquoi ces pleurs ? Que faire ? De quoi s'agit-il en fait ? de faim, de soif, d'inconfort au sens large, de colère, de peur, de simple désir de communiquer, d'un besoin irrépressible de capter l'attention ? Et tous les enfants pleurent-ils de la même façon ? Qu'est-ce que cela suscite en nous, adultes ?
Voilà bien toute une série de questions sur lesquelles plusieurs chercheurs (psychologues, anthropologues, pédiatres ...) se sont penchés.

baby_cry
SourceICI

Aussi, il y a quelques temps, au détour de mes lectures (donc sans vraiment rechercher d'information sur ce sujet), je suis tombée sur plusieurs articles présentant quelques résultats d'études consacrées aux pleurs des bébés.
Même si nous ne répondrons pas à toutes les interrogations évoquées (loin s'en faut !), je m'empresse de partager quelques conclusions de ces études.

Réactions physiologiques et comportementales des parents face aux pleurs
Lorsqu'un nourrisson se met à pleurer, ses parents ont d'instinct une réaction physiologique :
-augmentation de la pression artérielle, du rythme cardiaque,
- un petit pic d'adrénaline et de cortisol (permet de libérer de l'énergie à partir des réserves de l'organisme)
- une activation notable pour les mères de certaines zones du cerveau (amygdale notamment :  zone liée aux comportements de soin et d’empathie)
Bref, une irrépressible envie de prendre soin du bébé et de le consoler (exactement ce qu'il faut pour développer le câblage du cerveau).

Une étude (Université d'Oxford) [1] a montré qu'en comparaison avec d'autres sons de même intensité (y compris des cris humains adultes), seul le pleur des bébés est spécifiquement capable de provoquer une réaction extrêmement rapide de la part d'adultes : une réaction quasi viscérale qui vient du plus profond de notre cerveau.
Un des auteurs, le professeur Kringelbach nous explique "Evolution has decided that it is a good thing for us to look after our young, and there is something in the acoustic properties of babies' cries that evokes a very basic response that appears to be hardwired in ancient parts of our brains"
L'évolution a décidé que c'était une bonne chose pour nous, de veiller sur nos petits, et il y a quelque chose dans les pleurs des bébés qui appelle en nous un véritable instinct d'y répondre, quelque chose qui prend sa source dans les parties les plus primaires de nos cerveaux !

Que se passe-t-il si on réprouve ces instincts ? Côté parent, une chaîne de réactions en rétrocontrôle se met en place... Côté enfant, beaucoup de stress, voire plus (voir ICI)... Je n'irai pas plus loin, ce n'est plus le sujet !

Ces réactions instinctives, normales, ont permis depuis la nuit des temps d'assurer la survie du bébé, grâce aux soins mis en oeuvre par les parents. Certains parents sont plus sensibles que d'autres, certaines mamans le sont particulièrement (voir ICI)

Il est scientifiquement établi que des contacts de proximité limitent fortement les pleurs des bébés [2].
Poussons le bouchon un peu plus loin ! Existe-t-il des bébés qui ne pleurent pratiquement pas ? La réponse est "oui, il y en a" : Des anthropologues [3] se sont intéressés à quelques tribus africaines de  chasseurs_cueilleurs du Bostwana ( la tribu !Kung par exemple) dont les bébés ne pleurent jamais. Les anthropologues ont montré que les parents anticipaient les besoins (contacts étroits en particulier) avant même que la communication verbale par le pleur ait besoin de s'établir !

Maintenant, qu'en est-il pour nos civilisations occidentales ?

baby_careb
SourceICI

La reconnaissance des pleurs

Une étude de 2012 menée par des chercheurs espagnols (observations d'une vingtaine de bébés âgés de 3 à 18 mois) s'est attachée à analyser les signes de  reconnaissance des types de pleurs (peur, colère, douleur sont les trois causes étudiées) ainsi que la faculté des adultes à les interpréter [4].
L'équipe explique qu' en observant l'activité oculaire du bébé en pleurs  (yeux fermés ou non) et la dynamique du "cri" (intensité et durée), on peut comprendre la cause du chagrin.

En résumé, de cette étude, il ressort que lorsque les pleurs sont associés à :
-  la colère :  l'enfant garde les yeux mi-ouverts, l'intensité du pleur décroit progressivement
- la peur : les yeux sont ouverts quasiment tout le temps, l'intensité des pleurs augmente peu à peu jusqu'à atteindre un point culminant
- la douleur : l'enfant garde les yeux fermés (lorsque les yeux s'ouvrent, c'est assez bref), les pleurs démarrent très brusquement avec un maximum d'intensité.

En ce qui concerne l'attitude des parents, l'étude montre que c'est la colère et la peur qui sont les plus difficiles à reconnaître. Pour la douleur, même si les parents ou autres observateurs, n'arrivent pas à identifier la cause, leur attitude fait preuve d'une intense réaction affective : une parfaite adaptation entre l'enfant en détresse (parce que quelque chose menace sa santé ou sa survie) et la  réaction de l'adulte qui  doit être rapide pour soulager le bébé.

Des résultats intéressants pour les jeunes parents qui souhaitent quelques guides, ou pour le personnel soignant (puéricultrices) souhaitant parfaire son travail.

Est ce que tous les enfants du monde pleurent à l'identique?

Les pleurs comme premiers éléments d'une langue maternelle
Pleurer...en français ou en allemand, ce n'est pas pareil !
Voici le titre d'un paragraphe issu d'un article plus général "Bébé apprend ...avant sa naissance" paru dans le magazine "Le Monde de l'Intelligence" d'avril-mai 2013.  De quoi attirer mon oeil et attiser mon intérêt !

Source ICI
SourceICI

Bref, on y apprend que "dans les jours qui suivent leur naissance, les bébés ne pleurent pas de la même façon selon que leur mangue maternelle est le français ou l'allemand". Surprenant, non ?
Les conclusions sont issues d'une étude franco-allemande de 2009 [5] qui a permis d'observer 60 nouveaux-nés (30 français et 30 allemands) de parents parlant une seule langue. Il apparaît qu'en français, on pleure avec des sons de plus en plus aigus ; au contraire des pleurs allemands qui finissent plus grave comme la mélodie de la langue. L'enfant semble donc avoir appris à reconnaître les intonations de sa langue maternelle in utero. 

 Ces résultats amènent différentes implications discutées par les auteurs.
La reconnaissance et la reproduction des caractéristiques prosodiques (mélodie, intensité, rythme) d'une langue constitue une première étape importante dans l'acquisition du langage. D'autres études apportent également la preuve que cette sensibilité s'acquiert bien en amont des premiers mots prononcés : dès le dernier trimestre de la grossesse. En effet, les aspects phonétiques subissent une forte distorsion au-travers du ventre de la mère alors que les caractéristiques prosodiques d'une langue 
sont préservées. Il semble donc non seulement que le nourrisson les ait mémorisées mais soit capable de les reproduire  en contrôlant sa voix !

Cela montre aussi que contrairement à ce qui avait été supposé, les pleurs d'un nourrisson ne sont pas restreints par leur activité respiratoire (les fameux pleurs qui "font les poumons")...sinon tous les bébés pleureraient avec la même modulation, sans être capables de reproduire les mélodies de leur langue. Au contraire, cette capacité à reproduire les intonations de la langue maternelle montre dès la naissance, une très bonne coordination larynx_système respiratoire sous contrôle de mécanismes neuro-physiologique  (effort de mimétisme) malgré une immaturité de certains muscles et articulations : il s'agit là d'une formidable faculté permettant à bébé d'imiter maman et de communiquer au mieux avec elle !

Des résultats là aussi intéressants pour des futurs parents, qui veulent communiquer au plus vite avec leur enfant ! Qu'ils ne se privent pas de le faire, même pendant la grossesse, parce que preuve est  faite que le cerveau du fœtus est réceptif !

Conclusion :
Ces quelques études sur les pleurs de bébés bien trop souvent interprétés comme une preuve d'immaturité émotionnelle et comportementale de l'enfant apportent de nouveaux éclaircissements sur leur faculté à s'exprimer, à communiquer à tout prix avec leurs proches : une stratégie d'adaptation qui semble bien rodée.
Quant aux parents, fortement sensibles aux pleurs depuis l'origine de l'humanité, il leur faudra beaucoup de patience, de sens de l'observation pour les interpréter ... mais équipés de toute une série de réactions physiologiques, ils sauront écouter leur instinct, aucune raison d'échouer !

baby_care
SourceICI

Références :

[1] Christine E Parsons, Katherine S Young, Emma Parsons, Alan Stein, Morten L Kringelbach , Listening to infant distress vocalizations enhances effortful motor performance, Acta Paediatrica, 2012 Volume 101, Issue 4, p189–191
(http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1651-2227.2011.02554.x/abstract)

[2] St James-Roberts I, Alvarez M, Csipke E, Abramsky T, Goodwin J & Sorgenfrei E. Infant Crying and Sleeping in London, Copenhagen and When Parents Adopt a “Proximal” Form of CarePediatrics, 2006; 117; p1146-1155

[3] Hewlett B, Lamb ME, Shannon D, Leyendecker B & Scholmerich A. Culture and Early Infancy Among Central African Foragers and Farmers Developmental Psychology  1998, 34, No. 4, 653-661

[4] Mariano Chóliz, Enrique G. Fernández-Abascal, Francisco Martínez-Sánchez. Infant Crying: Pattern of Weeping, Recognition of Emotion and Affective Reactions in ObserversThe Spanish Journal of Psychology, 2012; 15 (3)

[5] Brigitte Mampe, Angela Friederici, Anne Christophe, Kathleen Wermke, Newborns’ Cry Melody Is Shaped by Their Native Language,  Current Biology, 2009; 19

10 mai 2013

LA tragédie d'HAMLET

POur celles et ceux qui me suivent sur le Café des Sciences, je suis désolée des problèmes de serveur... Je remets donc tous les billets publiés là-bas, sur cet espace...

Je vous avais déjà parlé de la fameuse molécule HAMLET, il y a déjà quelques temps, une molécule découverte en 1995 dans le lait humain par des équipes suédoises .

hamlet
HAMLET : une protéine qui s’étale

La molécule baptisée HAMLET (qui signifie « Human Alpha-lactalbumine Made lethal to Tumor cell ») est en fait une protéine (alpha-lactalbumine) dénaturée, car partiellement dépliée (voir ici les explications sur les liaisons dans les protéines) s’enroulant autour de l’acide oléique (acide gras de l’huile d’olive) : une sorte de complexe protéine/lipide.

 En général, une protéine dénaturée induit une modification de son activité biologique. Dans le cas d’HAMLET, il s’avère qu’elle a la capacité de tuer les cellules cancéreuses et de préserver les cellules saines. Elle agit en déclenchant l’apoptose (un programme qui engendre la mise à mort des cellules (voir les explications de l’apoptose ICI).

SourceICI: la cellule commence à dissoudre son propre matériel cellulaire à l’intérieur même de la membrane. Des cellules sentinelles du système immunitaire arrivent, s’accrochent à elle et finissent par l’engloutir » Extrait de cet article consacré au sujet de la mort cellulaire programmée !

Des essais in VIVO sur une dizaine de patients avaient montré d’excellents résultats (en 2007) : par exemple la réduction de la taille d’une tumeur de la vessie [1]

Source ICI
Source ICI

En préalable, comme il va être beaucoup question de la cellule et de ses constituants : un petit rappel à ce niveau s’impose.

Une cellule, c’est quoi ? je vous renvoie à l’article rédigé à destination des enfants sur KidiSciences  (ICI). En résumé, on peut dire qu’il s’agit d’une petite usine qui doit produire ou rendre un service, s’agrandir, se multiplier … Pour cela, elle a donc tout un tas d’ateliers à sa disposition. EN particulier, un noyau (la tête pensante, là où sont stockées toutes les informations), des murs d’enceintes (le cytosquelette), une centrale énergétique (les mitochondries) permettant de récupérer l’énergie à partir du glucose, des ateliers de transformation des matières premières (les lysosomes par ex. qui sont des systèmes de digestion internes)

cellule_animale

Organites abordées dans cet article :
2- Noyau 3-Ribosomes 7- Cytosquelette 9-Mitochondries 11- Cytosol 12- Lysosome 14 : Membrane

Depuis longtemps, on cherche à comprendre comment HAMLET agit exactement. Ainsi depuis 2007, de nouveaux résultats ont été publiés (liste non exhaustive) :
- Hallgren et al., Adv. Exp. Med. Biol. 2008 (2]
- Gustafsson et al. , PLoS ONE 2009
Trulsson et al., PLoS ONE 2011
- La dernière publication en date : J. Ho et al., Future Oncol. 2012

Tous les mécanismes mis en jeu pour cette action tumoricide (et leurs interactions) ne sont pas encore entièrement élucidés mais on commence à voir où sont localisés les champs de bataille.

Ce qu’ont mis en évidence les chercheurs :
Il semblerait qu’HAMLET joue sur plusieurs plans (une hydre à plusieurs têtes, expression employée par les auteurs) en profitant des spécificités métaboliques des cellules cancéreuses.

Ainsi, les cibles se situent au niveau de la membrane cellulaire, du cytosquelette, des mitochondries, des protéasomes (fournit les enzymes permettant de dégrader les protéines dénaturées), lysosomes (petites structures permettant d’effectuer la digestion dans la cellule) et le noyau. Toutes ces cibles sont atteintes au fur et à mesure qu’HAMLET passe d’une interaction membranaire jusqu’à son internalisation dans la cellule maligne : donc de l’extérieur de la cellule vers ses constituants les plus intimes.

Action au niveau des mitochondries
C’est dans ces petites centrales énergétiques de la cellule que se déroulent les dernières étapes de la respiration cellulaire.
Lorsque la molécule HAMLET envahit les cellules cancéreuses, elle provoque la dépolarisation des membranes mitochondriales, et la libération du cytochrome C (protéine associée à la membrane mitochondriale) : le premier effet empêchera la récupération d’énergie, le second déclenchera l’apoptose de la cellule.
Explication : La respiration cellulaire passe par un gradient de protons à travers les membranes , gradient qui va servir à fabriquer la molécule énergétique (ATP). HAMLET en dépolarisant la membrane, bloquera la production de l’ATP.
Lorsque le cytochrome C d’abord accroché à la  membrane, passe vers l’intérieur de la cellule (le cytosol) : il déclenche très rapidement des réactions (libération des caspases, enzymes tueuses) qui aboutissent à l’apoptose, et une fois la « cascade de réactions » activée par les caspases, le phénomène d’apoptose est irréversible.

Action au niveau des protéasomes
Les protéasomes fournissent des enzymes qui font le ménage à l’intérieur de la cellule, en particulier pour se débarasser des protéines dénaturées. HAMLET est donc à priori en ligne de mire.
Or, il a été montré in vitro [4] que la molécule HAMLET se lie à certains protéasomes et les inhibent (en les fragmentant), assurant ainsi sa propre persistance afin de poursuivre son but : tuer l’ennemi.

Les chercheurs pensent qu’en bloquant ce type de service de nettoyage, cela crée un effet toxique sur la cellule tumorale en cours de développement.

Action au niveau des lysosomes
Grâce à des travaux sur la molécule BAMLET (l’équivalent d’HAMLET chez les bovins, avec la même efficacité sur les cellules malignes) [5], il a été mis en évidence que la molécule s’accumule dans le compartiment lysosomal, déstabilise la membrane et laisse échapper son contenu : cela provoque la libération du cytochrome C, conduisant là encore àl’apoptose.

Action au niveau du cytosquelette
Le cytosquelette est l’ensemble de longues chaînes de protéines (souvent appelées filaments) qui confèrent à la cellule ses propriétés physiques mécaniques : sa forme, sa structure, son architecture, mais aussi sa faculté de déplacement et de division. L’intégrité, la cohésion des cellules, leur adhésion sur le support sont essentielles pour l’organisation tri-dimensionnelle du tissu.

Il apparaît qu’HAMLET s’attaque au cytosquelette des cellules malignes de façon à modifier leur morphologie et les rendre moins adhérentes les unes aux autres [3].
Les résultats de l’étude suggèrent qu’HAMLET interagit avec l’alpha-actinine, une sorte de molécule « échafaudage » (qui maintient la cohésion des filaments de protéines appelées actines) : l’échafaudage s’effondre, la structure du cytosquelette est désorganisée, la morphologie de  la cellule tumorale est modifiée (de plate elle devient plutôt ronde) :  elle n’adhère plus,  se détache, et meurt !

actinin

En rouge : les molécules « support » qui s’associent avec HAMLET

NB: la viabilité a bien été étudiée, parce que dans le cas des cellules cancéreuses, on craint toujours la métastase : la cellule se détache, voyage et va adhérer ailleurs. Traitée avec HAMLET, la cellule qui se détache a changé de morphologie et est en train de mourir !

Au niveau du noyau
La molécule se positionne au niveau du noyau de la cellule tumorale, s’associe avec les histones et désorganise la chromatine (la forme sous laquelle se présente l’ADN dans le noyau) : la transcription de l’ADN ne se fait plus, la cellule ne peut pas se reproduire. C’est ce qu’on appelle des modifications épigénétiques (lien ICI)
Les études ont montré qu’HAMLET s’active sur le noyau environ une heure après avoir envahi la cellule tumorale.

COnclusions et perspectives :
Cette molécule est donc à priori géniale (sans jeu de mot) : les mécanismes mis en jeu sont multiples et complexes. L’hydre à plusieurs têtes est effectivement une bonne image des modes d’action synergiques mis en oeuvre par HAMLET ce qui en fait une excellente candidate pour les thérapies anti-cancers. Les perspectives pour les recherches actuelles concernent : – la méthode la plus simple pour la production industrielle de molécules type HAMLET – la compréhension de la sélectivité de la molécule.

 Par rapport au lait humain, posons nous la question  : est-ce un hasard si cette molécule tueuse se trouve dans le lait humain? ou y a-t-il un avantage particulier : des bébés étant quand même plus rarement (rarement ne veut pas dire « jamais ») menacés par le cancer que des adultes ? ou bien découvrira-t-on en plus un mécanisme épigénétique agissant préventivement, en apportant un effet protecteur jusqu’à l’âge adulte ? A suivre donc …

NB : Rappelons qu’en 1988, une équipe (Davis et al) montre que l’incidence de tumeurs sur des enfants (âge jusque 15 ans) était moindre chez les enfants ayant été allaités. L’effet était particulièrement prouvé dans le cas de lymphomes (6].

Références et autres ressources :

[1] Mossberg AK et al., « Bladder cancers respond to intravesical instillation of HAMLET » (2007), International Journal of Cancer, Sep 15;121(6):1352-9

(2] « Apoptosis and tumor cell death in response to HAMLET » (2008)

[3] Trulsson M, Yu H, Gisselsson L, Chao Y, Urbano A, et al. (2011) « HAMLET Binding to α-Actinin Facilitates Tumor Cell Detachment » PLoS ONE 6(3): e17179. doi:10.1371/journal.pone.0017179

[4] Lotta Gustafsson, Sonja Aits, et al. (2009)  »Changes in Proteasome Structure and Function Caused by HAMLET in Tumor Cells », PLoS ONE 4(4): e5229.

[5] Zhang Y., Wu W., Ding W. (2010) « From HAMLET to XAMLET: The molecular complex selectively induces cancer cell death », African Journal of Biotechnology Vol. 9 (54), pp. 9270-9276

[6] Davis MK, (1998)   »Review of the evidence for an association between infant feeding and childhood cancer. » Int J Cancer Suppl. Vol 11:29-33.

Ressources internet :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Filament_d’actine
http://www.med.lu.se/english/labmedlund/mig/research_groups/the_svanborg_group/the_hamlet_project
http://www.erudit.org/revue/ms/2005/v21/n2/010534ar
http://biologyforeveryone.blogspot.fr/2010/06/mysterious-magical-milk.html
http://www.medscape.com/viewarticle/774344_5
http://mct.aacrjournals.org/content/9/1/24.full.pdf
http://www.academicjournals.org/ajb/PDF/pdf2010/29Dec%20Special%20Review/Zhang%20et%20al.pdf

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